[quote]Mais les télespectateurs ont-ils bien tous intégré cette distinction? En les lisant quelque fois j'en doute. Sans vouloir les prendre pour des imbéciles, le recul nécessaire à votre mise en perspective est-elle accessible à tous?
[/quote]
Précisément, Zara. Pour moi les plus grandes séries sont celles qui misent sur l'intelligence du télespectateur. Un créateur qui méprise son public, c'est un contre-sens.
Dans "24", l'évidence de la fiction crée la distinction par son "énormité": une bombe nucléaire, sauvetage d'une situation en 24 heures, rebondissements à ne plus pouvoir les énumérer: à la limite, quelqu'un qui ne comprendrait pas "24" raisonnerait en se disant: "c'est trop, faudrait pas abuser". Raisonnement qui pourrait très bien avoir sa légitimité d'ailleurs. En l'occurence, il jugerait précisément la série "irréaliste".
"24" installe si bien la couleur qu'elle ne peut être un piège à gogo.
C'est précisément dans ce facteur "miroir" où la réalité géopolitique s'insinue dans la fiction, que le télespectateur va être amené à se poser des questions. "Ca ressemble quand même à la réalité, sans en avoir l'air". Entre la réalité et le miroir des jonctions s'opèrent. La série miroir est "révélatrice": elle rappelle certaines vérités, comme les gouvernements que les U.S.A. ont surarmés et qui sont devenus des menaces pour eux.
Toute l'intelligence politique de cette série se situe dans l'interface des deux miroirs.
Ceux qui s'intéressent à la géopolitique comprendront tout de suite à quoi la série fait allusion.
Les autres compareront la réalité à la diégèse de "24", et se poseront des questions. Or, actuellement, les Etats-Unis se comportent de manière diamétralement opposée à la "gouvernance " telle qu'elle est montrée dans la série.
Je crois aussi qu'il y a une approche très différente du public européen, par exemple (je prends cet exemple faute de mieux, n'étant pas Chinois
), et du public américain. Ton point de vue résonne alors autrement. Le public européen qui est avant tout un peuple rejettant majoritairement l'unilatéralisme américain, est plus porté sur la critique des institutions des States.
Les américains fonctionnent différemment ( non, je ne suis pas américain non plus :langly: ).
Il y a chez eux un patriotisme exacerbé ( le patriotisme est d'ailleurs un concept plutôt noble, sauf quand il persuade qu'on est les maîtres du monde... ), et une culture politique très différente ( abstention de masse, Grands Electeurs, fédéralisme, etc...).
A moins d'arborer un drapeau sudiste et d'être lobotomisé par la propagande médiatique, la série "24" ne peut que mettre mal à l'aise le public américain. D'abord pour les mêmes raisons que nous ( l'extrème violence qui crée une certaine distanciation ). Ensuite pour des raisons qui les concernent: "What ? La C.I.A. peut tenter de berner un président ? Les administrations censées combattre l'Ennemi ont pactisé avec lui ?", etc...
Une série progressiste comme celle-ci constitue un rempart contre la propagande dans la grande déferlante télévisuelle: elle contribue à une remise en question de la solidité du fonctionnement politique américain. Et ça, c'est assez courageux, voire très gonflé.
Tu imagines une série en France qui remmette en question l'ingérence de notre pays en Afrique noire ?
Tu imagines un film qui dénonce le pouvoir obscurantiste de TF1 ?
( ceci dit, il y a pas mal de série française que j'adore, mais celle de ce type peuvent encore attendre...)
Ce n'est pas un miroir déformant que tend "24" à l'Amérique, mais un miroir "reformant": "regardez-vous, jugez-vous en fonction des critères de réalité que nous, nous mettons en scène: qu'est devenu l'idéal des pères fondateurs des Etas-Unis d'Amérique ?"
[quote]En deux mots, à force de regarder ce miroir, n'allons nous pas finir par nous identifier au reflet au point d'en éluder l'objet?
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Très belle phrase, très pertinente. Je voulais la citer :wink:
Mais je pense avoir écrit pourquoi on ne peut s'identifier au reflet...
[quote]Oui mais, à l'instar d'ALIAS, [/quote]
...
Généralement, je me préserve des comparaisons qualitatives qui constituent souvent des pièges si elles sont mal gérées.
Mais la référence à "Alias" me surprend, Guigui
.
J'aime bien cette série, personnellement, elle fait passer du bon temps, elle repose sur des péripéties toujours surprenantes, elle a du rythme ( trop, beaucoup trop parfois ), des personnages attachants et un imaginaire débridé. En plus elle s'améliore. Mais bon, je me pose parfois la tête sur les mains avec la nostalgie de l'ancien temps ! :D
Or, "Alias" traite d'espionnage internationnal comme "24", avec précisément tous les défauts du miroir déformant.
Des agents partent en mission à l'autre bout du monde pour faire une attaque et utilisent des balles soporifiques ?
En fait, c'est très gentil, "Alias".
C'est [u]l'antithèse totale[/u] de "24" !
Quand dès le premier épisode Jack Bauer découpe la tête d'un mec à la scie, on sait tout de suite que l'espionnage n'est pas un jeu video. Et le pire, c'est que des membres de la C.I.A. opèrent vraiment ainsi, comme des bouchers...
Quand on voit comment "Alias" encense le droit d'ingérence, et la toute-puissance américaine, on est parfois un peu agacé. Il faut tout le talent des scénaristes qui introduisent de la S.F. pour qu'on ne soit écoeuré.
"Alias" écoeure parce que cette série ment.
"24" écoeure parce que cette série ouvre sur la vérité.
L'art s'empare de la réalité pour la recréer et accéder à la vérité.
C'est ce qui fait de "24" une oeuvre d'art, Zara...
Je ne sais pas quelle vérité cherche "Alias", mais ce n'est la vérité géopolitique de "24" :wink: .
Mais comme chaque oeuvre contient de plus plusieurs vérités... Mais là, c'est un autre débat !
L'agent Squeulit pensait qu'il s'agissait en fait d'une pierre de forme triangulaire