On peut dire que la campagne marketting était bien rodée, avec les trois lois à ne pas transgresser, type "Gremlins"
Il va sans dire que maintenant c'est l'annonce du film qui provoque la surprise quand on le voit, et non plus le contenu, comme c'était le cas auparavant. Là où l'on s'attend à un film qui fait ressurgir nos angoisses, c'est face à une réflexion sociale que l'on se retrouve !
Il va sans dire également que la mise en scène de Shyamalan est excellentissime, notamment dans la gestion de la longueur des plans. Chaque plan chez lui ressemble à un plan séquence. Et c'est précisément là que l'irruption d'une image très courte va susciter l'effroi, ou la surprise. Ce sens du rythme, qui est la marque de son talent, est de nouveau au rendez vous dans ce 4ème opus. La plasticité du film ne tolère aucune critique: les plans sont magnifiquement cadrés, sortes de tableaux mouvant lentement au rythme d'imperceptibles mouvements de caméra.
Seulement, une belle composition picturale ne suffit pas à convoquer tous les moyens d'expressions cinématographiques, et cette succession d'images parfaites finit parfois par dissiper l'intéret du contenu à force de trop s'allonger. Le réalisateur tombe dans les défauts de ses qualités (bien que ce soit rare et que l'intrigue nous ramène vite à notre attention). En témoigne d'ailleurs un générique de fin ponctué de magnifiques photographies style XIXème qui semblent vouloir dire qu'arrêter le temps suffit à provoquer la beauté.
Le problème ne tient donc pas à l'impeccable réalisation, mais au contenu étonnemment réactionnaire de ce film, profondément dérangeant.
Le philosophe Hegel, qui vécut au XIXème siècle, était plus moderne que la pensée de ceux qui ont fondé ce village. Il traitait de "belles âmes" les personnes qui par horreur du monde allait s'enfermer dans les couvents afin de prier pour lui sans se salir les mains. Ce que dénonce le philosophe, Shyamalan le glorifie deux siècles après.
Car dans ce sens, ce village est bien un couvent, fonctionnant comme les institutions religieuses, avec leurs lots de rituels et d'interdits, fondées sur la peur de la transgression et de la punition, une sentence s'abattant chaque fois que la frontière est passée: marques sur les portes, animaux dépecés, etc... Le Village est bien une société fondée sur la peur et qui croit échapper à l'humanité en se cloîtrant dans une forêt.
Il s'apparente à l'idée du phalanstère, une microsociété utopique, sauf qu'ici, l'utopie est fondée sur un leurre, alors que les vrais phalanstères avaient une volonté d'édifier un modèle de monde meilleur. Ce n'est pas le cas ici, puisque tout fonctionne sur la coercition invisible, sur le mensonge.
Quelques décideurs/fondateurs constituent un conseil dirigeant une société pacifiée dont l'argent a disparu. Personnellement, je trouve ça tentant !
Mais à quel prix se perpétue cette utopie ? Au prix du sacrifice des siens, puisque les soit-disant monstres de la foret interdisent l'accès au médicament des villes, lieux de perversions comme l'indiquent les pires clichés.
On pourrait à ce moment là de l'histoire penser que le réalisateur dénonce une sorte de totalitarisme, ce qui serait un propos louable en désignant une contre-utopie. Mais on est loin du compte. Au contraire, il justifie ce mode de vie par un final salvateur: le fou a donné corps aux monstres imaginaires en se faisant tuer par une humaine dupée. Le fou qui incarne ici la jalousie, la tentation, le pêché. Il incarne le mal extérieur, bien que faisant parti de la communauté, car il a perdu la raison dans ce Village gouverné et habité par des gens "raisonnables" et obéissants.
Le pire sans doute tient au fait que le sentiment amoureux est lui-même perverti, car il sert de prétexte et de légitimité au mensonge: pour la communauté, Ivy aura tué un monstre, elle s'en portera témoin. Son amour est instrumentalisé par le conseil.
L'enfer est pavé de bonnes intentions.
Le comble est que M. Night Shyamalan n'a pas le courage d'aller au bout de son propos, essayant de ménager la chèvre et le chou. Quand Ivy arrive dans le monde moderne, elle tombe comme par miracle sur un homme à la voix douce, excessivement compréhensif, et qui constitue le pendant contemporain de Lucius. Comme si le réalisateur tentait de dire que finalement, le monde extérieur n'est pas entièrement mauvais. S'en suit la scène la plus radicalement démonstrative, lorsqu'il vole les médicaments, devant son chef en train de lire les pires horreurs du monde dans le journal, tandis qu'une radio nous assomme de nouvelles terrifiantes.
La légitimation de l'existence du Village, phalanstère monstrueux et manipulateur, devient totale.
En guise de conclusion, il reste à souligner combien ce film est une exaltation de l'égoïsme et du repli sur soi.
Le Village ressemble bien étrangement dans son concept aux quartiers privés des riches américains qui se retranchent derrière leurs murailles pour ne pas avoir affaire avec les misères du monde. Ce même type de quartier qu'un épisode de X-Files dénonçait avec virulence en lui donnant précisément pour métaphore un monstre...
Le vrai combat contre l'injustice et la violence en ce monde consiste à affronter les problèmes, et non les fuir. Chacun de nous porte en lui sa part d'utopie s'il veut bien faire un effort pour améliorer les choses.
Vision humaniste que ce Village retranché dans les bois méconnaît. Qu'il y reste.
Au fait, j'ai conscience d'apporter un avis assez contraire à tous, alors, n'oubliez pas:
L'agent Squeulit pensait qu'il s'agissait en fait d'une pierre de forme triangulaire