Tout comme JL Roush et EVENOAuré, je viens à la rescousse de Torrance pour défendre ce très bon film qu'est "Gangs of New York".
Un film extrêmement cohérent et parfaitement maîtrisé, techniquement irréprochable et au visuel parfois très parlant. A travers la petite histoire, qui est celle finalement assez prévisible de ce jeune homme obsédé par la vengeance de la mort de son père, c'est la grande Histoire que Scorsese analyse à travers son film, c'est celle de New York, c'est celle des Etats-Unis, c'est celle de l'être humain (oui!). L''Amérique est née dans le sang, que cela soit celui des immigrés massacrés par les "natifs", les noirs massacrés par les blancs, ou les soldats morts au front durant la Guerre de Sécession, guerre si importante dans la construction du pays et logiquement très présente tout au long du film, pas centralement mais comme une ombre qui plane du début à la fin, que l'on distingue de temps à autre lors de scènes toujours soufflantes (la scène où de jeunes recrues s'embarquent tandis que l'on débarque parallèlement les cercueils de ceux tombés au combat par ex.). Les protagonistes du film vaquent à leurs occupations, mais parfois leur chemin croise "accidentellement" celui de la Guerre qui se joue dans le Sud, occasions où subitement, la caméra se détourne quelques secondes de ses héros et filme des scènes apparemment sans intérêt pour le déroulement de l'histoire...De la petite histoire peut-être, mais pas de la grande...
D''ailleurs je voudrais souligner la réalisation de Scorsese, qui rend ces scènes de rencontre entre petite et grande histoire si percutantes. Ainsi la scène dont je parlais plus haut, où la caméra ne montre tout d'abord qu'une colonne de soldats s'embarquant à bord d'un navire, avant d'élargir le plan et de révéler, un, puis deux, puis plusieurs dizaines de cercueils que l'on débarque sous les yeux des soldats qui s'apprêtent à rejoindre le champ de bataille. Ouch. (il y a d'ailleurs d'autres scènes tout aussi soufflantes où Scorcese emploie la même technique - comme la séquence d'introduction, où Scorcese filme des grottes et des êtres dignes du Moyen Age, puis un affrontement entre "tribus" sanglant et tout aussi moyen-âgeux, avant de révéler par un travelling aérien l'emplacement et l'époque où se situe ce bain de sang : New York, 1863. Re ouch).
Jusqu'au stade du film où la Guerre jouera un rôle majeur, les émeutes, le climax du film, où, significativement, les deux histoires se mêleront définitivement, l'affrontement entre Bill le Boucher et Amsterdam étant interrompu par le bombardement de l'armée (scène assez magistrale comme quelqu'un le disait plus haut d'affrontement dans la fumée). C''est là où la folie de ces deux personnages explose au grand jour, où la futilité de leur existence et de leur vengeance se révèle, où ils persistent dans leur combat à mort soudainement si futile au regard des évènements historiques qui se jouent autour d'eux, avant qu'ils oublient leur rivalité pour affronter la mort ensemble (dommage d'ailleurs qu'Amsterdam ne meurt pas lui-aussi avec Bill).
Affronter la mort, et le futur. Car, ce que Scorcese filme anxieusement tout au long de son film, c'est la fin d'une époque (et partant le début d'une autre), message efficacement retranscris lorsque le narrateur énumère les noms de tout ceux qui sont morts lors des émeutes en même temps que la caméra nous montre leur cadavre, tant de personnages hauts en couleurs qui hantèrent tout le long du film le quartier de Five Points, et qui symbolisent l'ancienne époque, qui se clôt en même temps que les émeutes. Ancienne époque dont la mort est le mieux symbolisée par la mort de Bill lui-même, LE grand symbole de l'ancien système, celui qui refuse de reconnaître le mérite des élections et en appelle encore et toujours à la violence. A remarquer d''ailleurs que le film n'est pas manichéen, puisqu'il n'oublie pas, outre la violence et la dureté extrême de l'ancien monde (violence parfois extrême qui est donc justifié, bien qu'elle ait gêné beaucoup de gens avec qui j'ai parlé du film), de stigmatiser la corruption et la démagogie du nouveau, dominé par les politiques et les élections.
Et bien sûr, nous avons le plan final, qui nous montre par fondu enchaîné le futur, l'évolution de New York, l'apparition des grattes-ciel, tandis que les tombes des symboles de l'ancienne époque, Bill et le père d'Amsterdam, disparaissent sous les attaques du temps, oubliés de tous...à l'ombre du World Trade Center...L''Amérique est née dans le sang, et elle continue de vivre dans le sang, New York étant quelque part peut-être la vitrine du pays...
On pourrait dire bien d'autre chose sur ce formidable film, on pourrait souligner l'excellence du jeu des acteurs, Daniel Day Lewis en tête, incroyable (un oscar, un oscar !!), on pourrait remarquer le caractère épique du film, qui renoue ainsi avec une des plus grandes traditions hollywoodiennes (dont il est, comme l'était "Titanic", le fidèle héritier), on pourrait mettre en avant également la puissance de la petite histoire elle-aussi, aux accents shakespearien, mettant en scène ce jeune homme qui veut venger la mort de son père mais qui se liera progressivement d'amitié avec le meurtrier de son père et l'objet de sa haine, qui de plus remplira de plus en plus le rôle de père de substitution pour lui, ou cette histoire d'un amour disputé entre précisément le père de remplacement et le fils (dommage que cet aspect là de l'histoire n'ait pas été approfondi)...vengeance, rédemption, trahison, sont au coeur de ce film épique, dont le seul unique défaut, peut-être, est, outre une histoire d'amour quelque peu inutile (mais pas inintéressante), une certaine rupture de ton à un moment donné, après qu'Amsterdam, trahi, soit marqué au fer par Bill : exit l'histoire de la vengeance, place au bon vieil affrontement entre gangs. J''aurais préféré personnellement que le film se concentre sur la première partie du film, sur cet homme assoiffé de vengeance qui s'infiltre dans le gang de Bill et apprend petit à petit à le connaître, plutôt que de passer ensuite à cette histoire plutôt redondante de résistance non-violente et d'élections démocratiques, un peu didactique par ailleurs. Dommage quand même...
Je pourrais parler de tout cela, je pourrais critiquer cette deuxième partie de film, je pourrais beaucoup de choses, mais je veux en rester à la puissance évocatrice de ce film très dense, à la grande histoire, au message central du film : la violence et l''Amérique sont intimement liés.
PS : Au fait Strughold, je t'adresserai la même critique qu'aux pro-saisons 9 et pro-The Truth à une certaine époque : si tu n'aimes pas, libre à toi, mais justifie, argumente, comme nous le faisons, ou alors - shut the fuck up !!! :D
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Lisez la SV3 MillenniuM, qui a changé ma vie le 12 novembre 2002 et qui dépasse de loin tout ce que le huitième art a produit jusqu'alors en soixante ans. Vive Audrey Pauley !
Edité par - No 6 le 09/02/2003 06:02:56